La Kabylie dans le Hirak

Le 16 février 2019, dans la ville de Kherrata en Kabylie, à 300 kilomètres d’Alger, des milliers de personnes manifestent contre un cinquième mandat présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika. Une semaine plus tard, cette ferveur populaire gagne la capitale algérienne. C’est le début du Hirak (ou mouvement), un élan protestataire qui revendique le « démantèlement du système » et un « État civil et non militaire ». Surnommé « la révolution du sourire », le Hirak est symbolisé par le pacifisme de ses mobilisations et le renouveau du nationalisme algérien, conscient de sa diversité. Le mouvement perturbe les sens de la société algérienne et réunit les citoyens et citoyennes algériens derrière des revendications communes. Les Kabyles, présentés comme des « des ennemis intérieurs » par certaines politiques et victimes de déclassement face aux politiques publiques du pouvoir en place, prennent part à la lutte et deviennent des acteurs majeurs du Hirak. Cette implication s’inscrit dans une continuité de historique des forces kabyles dans la défense du récit national. En effet, et comme le rappelle l’historien Ali Guenoun, les Kabyles ont notamment été les précurseurs du nationalisme algérien, avec la création du mouvement nationaliste Étoile-nord-africaine en 1926. 

Les revendications du Hirak inscrites à l’agenda des partis politiques en Kabylie

Pour les partis politiques à l’électorat kabyle dominant, à savoir le Front des forces socialistes (FFS) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RDC), la lutte dans le Hirak est perçue comme nécessaire. Au-delà des revendications pour « un changement radical du système et une transition démocratique », ces partis estiment que la Kabylie doit participer à un mouvement unificateur national pour ne pas tomber dans une politique de division. Par ailleurs, ces partis mettent en exergue la nouveauté d’un tel rassemblement de toutes les régions d’Algérie, portant un mouvement de contestation à l’égard du pouvoir. Cela représente donc sans conteste la volonté d’un changement commun, auquel la Kabylie prend pleinement part. De son côté, le Rassemblement pour la Kabylie (RPK), créé en 2017, se fait le relai de ces revendications en prônant une Algérie plurielle et démocratique dans laquelle la Kabylie aurait un statut particulier.

Boycott des élections 

 Outre les partis politiques, c’est aussi la société civile kabyle qui s’est investie dans le Hirak. De nombreux et nombreuses kabyles faisaient partie intégrante des couloirs de manifestants. Mais c’est surtout à l’occasion des élections organisées que leur voix a été la plus forte. Et c’est le silence qui a porté cette voix lors du boycott des élections présidentielles de 2019 et les élections législatives de 2017. En effet, le taux de participation a avoisiné le 0% dans la région berbère. Le rejet de ces élections a été porté tant par les partis politiques que par une population qui ne souhaitaient plus jouer un jeu dont ils n’en pouvaient plus. Des opérations de sabotage du vote ont été organisées, fermant les bureaux ou brisant des urnes, ont été menées lors des élections afin de dénoncer ces scrutins. Selon les responsables des mouvements, ces derniers n’étaient pas en phase avec la mise en œuvre des revendications portées par le Hirak, à savoir une véritable révolution politique et la fin d’un contrôle militaire de l’État. À cette crise de confiance envers le pouvoir politique se sont aussi ajoutés la détention de figures politiques par le régime, un fort taux de chômage, une gestion pénible de la pandémie et la montée d’une crise du logement en Kabylie. 

Le Hirak, fer de lance d’une réflexion de gouvernance autonome en Kabylie ?

Les discussions politiques qui ont eu lieu au sein du Hirak ont alimenté les réflexions sur l’autonomie de la Kabylie. Le 27 octobre 2020, « une lettre ouverte à nos compatriotes algériens » a été publiée dans le journal el Watan, quotidien algérien, par « l’Action citoyenne kabyle ». Elle reprend les revendications du Hirak et y ajoute la reconnaissance du caractère multiculturel de l’Algérie. Cette lettre ouverte lance surtout le débat d’un changement de gouvernance en Algérie en faveur d’un système non centralisé. Cette réflexion pour la mise en œuvre d’un système d’auto-gouvernance a été suivie par d’autres initiatives. Ainsi, le 12 novembre 2020, un communiqué « pour le droit des Kabyles de prendre leur destin en main » a été publié par le Congrès mondial amazigh. Il avance qu’après « ce deuxième zéro vote [les élections législatives] historique en Kabylie, il n’est ni logique, ni raisonnable d’attendre des solutions d’un gouvernement considéré comme illégitime et que le peuple rejette ». Il défend la mise en œuvre d’un dialogue national pour un changement politique comprenant les aspirations kabyles. On voit ainsi émerger des réflexions sur la place de la Kabylie avec et après le Hirak. Ainsi, le mouvement national a ouvert des opportunités de discussions et des espoirs de remaniement politique futur à l’échelle régionale. 

La stigmatisation d’une Kabylie séparatiste par le pouvoir algérien

Un des symboles de l’implication kabyle et berbère dans le Hirak a été la présence du drapeau amazigh aux côtés du drapeau national pendant les manifestations. Autrefois réservé aux espaces berbérophones, l’emblème régional dans les manifestations témoigne de la cohésion nationale promue par le Hirak. Cependant, malgré une convergence des revendications, la présence du drapeau est critiquée par les autorités et certains partis politiques proches des cercles islamistes. Pour ces derniers, le drapeau dans les manifestations serait un affront à l’unité nationale et à l’arabité du pays. Des discours anti-kabyles émergent en marge du Hirak jusqu’à l’interdiction par le général Ahmed Gaïd Salah de l’emblème berbère le 19 juin 2019. Pour beaucoup cette interdiction vise à diviser le mouvement du Hirak et à stigmatiser la Kabylie comme séparatiste.

Plus récemment, c’est le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) qui a été la cible des autorités algériennes. Créé en 2001 par Ferhat Mehani à la suite du Printemps noir, il a été déclaré comme organisation terroriste en juin 2021. S’en sont suivies de nombreuses arrestations dans la région berbère du nord de l’Algérie. Pour certains Algériens et Algériennes, ces arrestations sont une manière de réprimer le mouvement du Hirak et empêcher son développement. En effet, malgré la fin des protestations massives avec la crise sanitaire, les mobilisations se sont poursuivies dans l’ensemble du pays et en Kabylie. Le 16 février 2021, des manifestants et manifestantes se sont rassemblées dans la ville de Kherrata pour signifier le maintien de leur lutte contre le pouvoir. Les slogans du Hirak « le pouvoir au peuple », « pour un État civil et militaire » continuaient d’être scandés. Des marches protestataires régulières ont également eu lieu à Tlemcen à partir de juin 2021 et dans la région jusqu’en juillet. La Kabylie reste ainsi un des fiefs pérennes du Hirak. 

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